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Bertrand Cantat – Amor Fati De la complexité d'une douce énergie poétique

  • Mag. Tramoy
  • 2 juin 2018
  • 7 min de lecture


C'est la pénombre. La nuit est notre amie. Si le soleil au dehors n'est pas encore couché, peu importe, notre nuit ne fait que commencer. Ramdam percutant délicieusement lancinant. Le son intergalactique qui emplit la salle éveille les sens. Noir bleuté. On rêverait qu'aucun cri ne vienne perturber le timbre qui s'élève enfin. Pur. Mais les cœurs accrochés n'en pouvaient plus d'attendre. Le temps s'écoule ici dans une alcôve intime de multitudes. C'est quand on attend quelque chose aussi fort, depuis tant d'années, qu'on prend cette bouffée de générosité venue de toute part comme une grande baffe dans la gueule. La nuit est notre amie. Cet inépuisable amour exulte. Laisser libre cours à chaque émotion, à chaque réaction. Bertrand Cantat sort peu à peu de l'ombre, pour ceux qui sont assez proches. Nous prenons ces instants comme un festin. Happés par la magie de l'instant. Embarqués dans un tourbillon d'infini, nos yeux pétillent. Ils envoient les étincelles en ricochet sur les doigts rythmiques ou mélodiques des hommes de scène. C'est Fred Girard qui entame les négociations, suivi de près par Bruno Green, puis tous les autres. C'est un peu comme s'ils envahissaient la scène timidement, profitant de l'ombre pour installer une atmosphère de particulier à particulier. Jaugeant leur capacité à nous émouvoir. Posant là leurs parcelles d'humanité. Pré-conquis, nous n'en sommes pas moins ébahis. Enivrés au premier regard, furtif, attentif.

Je regarde Lisa. Le temps s'arrête ici.

Danse. Ondule le rap slam. Bam Bam. On explose. Nos vies de miettes, nos histoires de nerfs se jettent dans la fosse avec délectation. Nous sommes prêts à voler le feu, à donner. Tout. Ici personne pour juger, personne pour collecter les indices et les vices. Le bonheur, on le prend là où il est. Et il est là. Silo. 24 mai 2018. Un soleil radieux dans la pénombre qui transperce ces murs de béton. « Et tous ces inconnus qui pourraient être tes amis ». 'Xcuse my french. On est bien, là. Tous ensemble, reliés. De Cantat d'Amor Fati à Noir Désir en passant par le Détroit, tout une continuité qui a accompagné nos vies et qu'on transmet à nos enfants. Cantat, certains ont voulu en faire un symbole, alors nous aussi nous en ferons notre symbole. Un symbole lunaire phoenixoïdal. Un symbole des luttes que l'on écrase, mais qui renaissent encore et encore, toujours sans jamais se résigner. Ce qui est est, pas la peine de tergiverser. Quand on va écouter en concert Cantat, on sait pourquoi on est là. Des harpies nous ont traité de « public facho » dehors. Que faire d'autre que rire devant l'absurdité de l'insulte. Qui domine son sujet peut dire de telles coquecigrues ?

Des thèmes anciens et récurrents de luttes, aux thèmes qui abordent notre modernité sous ses aspects les plus pervers, comme avec Silicon Valley du nouvel album ou l'Homme pressé de Noir Désir, en passant par l'amour, toujours, parce que c'est grâce à lui qu'on sauvera peut-être notre monde, chaque mot est pesé, soupesé. Du Cantat, ça ne s'écoute pas comme on écoute du Téléphone ou du Trust. Cantat, on le découvre, on le décortique, on s'en imprègne et puis, petit à petit, on le savoure, on l'interprète, on se l'approprie. C'est le pouvoir du poète, son talent. Chacun de ses mots est écrit pour toucher ce je ne sais quoi, chacun trouvera le mot qui lui correspond, tout au fond de nous. Et puis viens l'évidence. De nos entrailles, de chaque pore de notre peau, la communion nous propulse dans quelque chose d'irréel, de magique, de grand.


Une sensibilité rare, une voix à couper le souffle, plus intense encore qu'aux débuts, des mots, des mots, une poésie qui parle. Cette voix si juste et humaniste qui porte nos revendications, nos espoirs, la puissance de nos rêves était tellement importante que quelque part, je lui en ai voulu un court instant d'avoir anéanti ce pouvoir de nous rassembler autour de ces textes et de ces idées. Abasourdie. Anéantie. Une tristesse égoïste due sans doute à mon état acerbe de jeune maman abandonnée et perdue. Mais je me suis rendue compte que ce pouvoir ne pouvait pas être anéanti. Et je me suis rendue compte que laisser porter cette responsabilité à un seul homme, qui plus est artiste, était totalement inepte, irresponsable et dépourvu de bon sens. Personnellement, je n'ai jamais tourné le dos, suivant le chemin jusqu'à ma rédemption. Et je trouve que ce chemin est bien résumé par la connaissance de l'amor fati, une notion que j'ai découvert grâce à Bertrand Cantat, parce que son talent, c'est aussi de nous élever, toujours plus vers le haut, de la conscience, de la réflexion.

A bâbord toute !

Si tu lis cet article et que tu n'as pas vu ce concert, est-ce que tu vas me comprendre ? Je n'en sais rien. Je te l'ai dit que je faisais une sorte de « gonzo » à ma sauce. Un article comme on prend un verre au bar, comme on boit une bouteille de champ au goulot, comme on sympathise avec des militaires qui t'expliquent avec conviction que s'ils avaient été plus longtemps à l'école ils n'en seraient pas là. Un article comme le soleil sur la peau, comme les interminables pas pour chercher l'unique tabac du coin. Un article comme un concert de noces de deux rockers amoureux et si beaux. Un article comme ces ados qui suivent leurs mères et qui sortent les yeux étoilés au firmament des dissidents, ou qui réussissent à convaincre leurs pères que ce concert leur est indispensable. Un article comme les fraises à 2h du mat' à s'en pourlécher les babines. Un article comme la bise à Pascal. Un article comme on plantonne des heures devant l'entrée backstage, pour la retrouver, cette tribu. Un article comme la tribu qui ne laisse jamais tomber l'un des siens. Un article comme la certitude qu'on se reverra tous, public et artistes. Camarades !


La tribu est soudée, les sourires chevillés au cœur pour affronter l'adversité en toute dignité. J'écris pour la tribu, même si j'écris aussi un peu pour toi que n'étais pas là. Je disais il y a peu à un compère bienveillant (coucou Lule), marseillais, que je n'aimais pas Marseille. Il m'a promis de me la faire découvrir à sa juste valeur. Et aujourd'hui, même si la moitié de la salle n'était pas marseillaise, mais vauclusienne, toulonnaise, niçoise, vinonnaise même (sans compter les pièces rapportées bourguignonnes ou comtoises ou sans doute même parisiennes enfouies à résister dans un sud-est hostile), aujourd'hui, Cantat le bordelais m'a fait aimer Marseille. Le Silo et son équipe m'ont fait aimer Marseille. Pour la première fois. Embarquée dans un lieu qui t'accueille à bras ouverts, tu explores l'univers.

Alors oui, on se laisse embarquer à enfin tout envoyer en l'air. Il y a quelques portables qui filment, photographient, mais pas tant que ça en comparaison des autres concerts que j'ai écumé ces derniers mois. On les remercie quand même ceux qui sortent leur portables, parce que ces témoignages visuels de l'osmose entre cette scène et cette salle n'ont pas de prix. Pour l'instant, on est là, on s'évade sans bouger de là.

Le vent bat nos voiles. Le bateau tangue, mais les marins tiennent la barre fermement. Le vent nous porte, d'électrique en acoustique, la liberté en bandoulière. Danse, danse, ondule. Sur les flots, à l'heure au rendez-vous, la foule se laisse transporter, balancer, chatouiller. Bertrand Cantat et ses acolytes sont d'humeur taquine, Marseille oblige. Les présentations d'usage nous rappellent que des hommes et des femmes vivent cet instant à nos côtés, dans l'ombre ou dans la lumière. Qu'ils sont des humains de chair et de sang. Qu'ils ont des noms, ces noms : Pascal, Fred, Niko, Laurent, Bruno, Bertrand, Eddy, Laurence, Jérôme.... Scander leurs noms pour ne pas scander le nôtre. De toute façon, de notre côté, nous sommes trop nombreux : Miläa, Winka, Vincent, Max, Luna, Yoni, Marilou, Lisa, Marianne, Gaëtane, Nathalie, Sébastien, Franklin, Magali, Sylvie, François, David, Cyril, Nik, France notre québecoise, Catherine, Laura (parce que Bertrand Cantat c'est aussi s'entraider, co-voiturer), Chris, Stéphane, Pascal, Mappie et sans doute des dizaines de Christophe.... plus de 2000 inconnus qui pourraient être amis.

Et ce concert ?

Ah vous voulez que je vous raconte le concert ? Que je vous parle set-list ? A quoi bon. Je vous parlerai de la douceur intense et de l'énergie qui te happe. Je te parlerai de ce putain de pogo qui n'en finissait plus d'être bon. Tostaky et Ici Paris sur une même lancée qui te propulsent dans les airs dans un tournoiement où on a l'impression que tous les gradins sont descendus nous rejoindre dans la fosse. Ce type qui tombe à genoux. Et puis Lost. Nous dire qu'ici, avec nous, il se sent moins perdu. Nous tous, ensemble, nous sommes moins perdus. Nous retrouvons notre carburant. Ce soir, je sais que ce pouvoir de nous rassembler est intact. Vivifiant. Sans gagnant ni perdant, mais chacun à notre manière d'être là. Marseille cosmopolite accueille ce soir les écorchés enragés, les gueux qui n'entreront jamais dans la famille, fiers et déterminés. Épuisés, maltraités, mais résolument debouts !


Bertrand Cantat est. Il est ce poète si dense, si ardent. A fleur de peau. Il est un absolu de mots qui résonnent et font mouche, encore et encore. Il est celui entre les mains duquel le rock français s'affirme subtil, assume ses facettes sensibles. Tu as toute la subtilité de la poésie engagée, qui parle, qui interpelle. L'évolution musicale bien sûr comme pour tout artiste est franche, peut-être déconcertante pour les uns. Ici, dans les morceaux de ce dernier album, la musique est particulièrement envoûtante, très prenante, assez singulière, lumineuse, à la fois dépouillée pour en extraire l'essentiel et tellement recherchée, raffinée, avec cette attitude vaillamment loin de la béatitude, qui fait que c'est résolument rock. Les quelques morceaux de Détroit oscillent entre le retour déchiré et le combat qui continue. C'est Cantat, l'homme multiple, la sensibilité à l'état pur. Un homme complexe comme chacun d'entre nous, parce que le monde n'est pas en noir et blanc mais enrichi de nuances.

D'ailleurs, je ne suis pas de ceux qui disent, comme pour s'excuser, qu'ils différencient l'homme et l'artiste. Non l'artiste est ce qu'il est parce qu'il est l'homme (ou la femme) qu'il est. Je soutiens Cantat l'homme et Cantat l'artiste. J'aime les deux, et j'exacerbe en réaction ! Nous exacerbons tous en réaction. Et quand j'entends Bertrand chanter, ses musiciens l'accompagner, alors je me dis, mais que c'est magnifique ! Quand je regarde tous les combats qu'il a mené et qu'il mène encore, avec ses frères de lutte, je sais pourquoi il est devenu une cible. Ce n'est pas un fait qui fait de lui la cible, ce sont ses convictions. Forte de tout cela, de ces convictions communes, quand je lis et écoute ses textes, quand je me laisse porter par la musique, alors, je sais pourquoi je suis là et pourquoi j'irai toujours aux concerts de Bertrand Cantat. Encore et encore. Sans me rendre jamais !

(photos : marilou adam, max armandi, extraite de la vidéo de hélène cht et un inconnu dans la nuit)


 
 
 

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